Communiqué des éditions Rhubarbe
Nous pourrions invoquer, pour parler de ce recueil, le rire atroce de Topor ou l’implacable logique de Sternberg. Mais empruntons plutôt au cinéma et disons qu’il y a dans ces nouvelles quelque chose des séries Z du film d’anticipation ou d’horreur (genre L’Attaque des tomates tueuses, si si, ça existe) et que l’on y rit souvent, et de bon cœur, devant tant d’outrance, tant de cruauté baroque… sans parvenir à étouffer complètement la petite voix en nous qui susurre qu’en fait, on ne s’est pas tellement éloigné de la réalité, juste un pas de côté, un cran plus loin, comme le dit fort justement Claude Louis-Combet dans sa préface :
« Nous ne sommes pas ici. Nous ne sommes pas maintenant, mais déjà dans le prolongement des temps qui courent et dans l’amorce d’une société nouvelle et d’une nouvelle moralité. C’est sur cette limite d’anticipation, ce loin-près que Bernard Ascal assoit toute l’étrangeté des nouvelles qu’il nous donne à lire. L’ordinaire de la vie est soudain affublé d’un coefficient d’âpreté, de brutalité, d’incongruité, de discordance, comme si l’Ange de la perversité, cher à Edgar Poe, était venu troubler l’équilibre traditionnel des humains et des choses. Ainsi le jour ne révèle-t-il d’autre projet que d’accomplir les cauchemars de la nuit. Cependant, l’humour ne manque pas dans ce tableau. Il y a place pour un rire de fond, dans la mise en scène de situations cocasses, dans la maîtrise du farfelu et le jeu des exagérations et des extravagances. Sous un horizon qui porterait au désespoir métaphysique, le verbe du conteur ne défaille jamais.
Le temps a beau être sombre, le plaisir reste entier. »
Le monde dans lequel nous vivons est atteint de démence, chacun en conviendra aisément. Cette maladie-là est difficilement soignable et elle se répand d'une manière exponentielle par l'intermédiaire des médias et surtout des réseaux sociaux. Si l'on pouvait croire encore au siècle dernier, à la suite de Hegel, que le "faux est un moment du vrai", ce n'est plus possible aujourd'hui. Il faut se rendre à l'évidence : le faux est un moment du faux. Les technologies les plus sophistiquées qui étaient censées nous soulager des contraintes administratives et de bien d'autres maux peuvent s'avérer périlleuses et nous entraînent souvent dans des labyrinthes inextricables où il n'y a même pas une "Ariane" pour nous montrer le chemin. Dans ces systèmes, personne ne parle à personne : un haut sommet de l'aliénation sans visage.
Dans "L'amateur de billes", Bernard Ascal, qui est par ailleurs peintre et chanteur – il interprète notamment de grands poètes tels que Césaire, Senghor, Soupault, et compose des chansons, comme celles parues récemment en CD du "Gai Désastre" –, pousse les aberrations de la société jusqu'à ses extrêmes conséquences, du moins dans l'imaginaire dont on se surprend à penser que cela pourrait, presque, être la réalité de demain. Le préfacier, qui n'est autre que Claude Louis-Combet, n'a pas manqué de souligner le caractère hilarant et grinçant de ces nouvelles, Comme il se doit dans ce monde aseptisé, les personnages sont des solitaires, confrontés à des situations extravagantes que je ne souhaite à personne. Voilà un jardinier qui vaque à son occupation favorite quand, soudain, une jambe et un bras lui sont enlevés, coupés net, une sorte de contribution corporelle à la troisième guerre mondiale en pleine effervescence. Ou encore un "agité" qui ne s'intéresse qu'à son tronc qu'il muscle, bizarrement, en prévision de son suicide. Et que penseriez-vous d'un individu qui se serait vendu "en viager" ? La nouvelle "L'amateur de billes" qui donne son titre à l'ensemble nous fait pénétrer dans l'univers secret d'un collectionneur de ces "petites sphères colorées" ou mieux encore celles en terre cuite. Son nom : Amédée Boulette ! Je n'en dirai pas plus. Mais en voici un extrait :
"Chaque fois que les conditions météorologiques le permettent, je pars en chasse. Je poursuis notamment des investigations systématiques dans les bacs à sable des jardins publics de la ville. J'attends la tombée du jour, le départ des bambins et des nounous puis celui des gardiens après la fermeture des grilles. J'enjambe prestement la clôture et gratte frénétiquement jusqu'à la nuit noire avec un piolet dans l'espoir de trouver quelque égarée. Je suis équipé d'une lampe frontale – dont je n'use qu'avec la plus extrême prudence afin de me pas attirer l'attention – pour contrôler la nature de chaque noyau dur qui se présente sous mes doigts. Il m'arrive fréquemment et cela est une grande mortification, de saisir à pleines mains, dans la semi-obscurité, des déjections de chat ou de chien recouvertes d'une fine pellicule de sable..."
Le lecteur qui plonge dans ce recueil sans connaître le travail de l’auteur a de quoi être surpris. Si ce lecteur est très cartésien, avec un goût prononcé pour le sérieux, le réalisme et le premier degré, il risque même d’être effaré. Bernard Ascal ne lésine pas sur la transgression et la morbidité.
Pourtant, le lecteur est prévenu par la couverture : « nouvelles grinçantes ». Mais qu’est-ce qui les fait grincer comme ça ? C’est vrai que l’auteur n’a pas pour mission de mettre de l’huile dans les rouages d’une société bureaucratique et d’un monde aux comportements aussi absurdes que consternants. Au contraire ! L’auteur amplifie les grincements, exagère, extrapole, au cas où certains ne les auraient pas suffisamment perçus.
Dans la préface, Claude Louis-Combet, prépare aussi le lecteur à ce qu’il va découvrir. « Tout se passe comme si, dans le sommeil qui précéda notre lecture, la terre avait tourné d'un cran, et lorsque, réveillés, nous entrons dans le vif du livre, c'est pour constater aussitôt que tout a empiré, les conditions de la vie sociale, la régulation politique du monde, le malaise de la conscience. » « Cependant, l'humour ne manque pas dans ce tableau de l'homme et du monde […] Il y a place pour un rire de fond, dans la mise en scène de situations cocasses, dans la maîtrise du farfelu et le jeu des exagérations et des extravagances. Sous un horizon qui, à la réflexion, porterait au désespoir métaphysique, le verbe du conteur ne défaille jamais. Le temps a beau être sombre, le plaisir reste entier. »
Dès la première nouvelle, le lecteur est confronté à une étrange histoire d’amputation pour échapper à de lourds impôts. Dans une autre nouvelles, le narrateur a vendu son corps en viager en touchant une mensualité pour chacun de ses organes. Ailleurs, on n’attend pas le décès de la donneuse pour opérer le prélèvement. Le thème des greffes et des transplantations revient aussi dans un texte rendant absurdes les causes et le déroulement d’une guerre. « Bien que le code des armées interdise formellement les greffes entre adversaires, la difficulté à procéder sur le champ de bataille au moindre contrôle, engendre une prolifération de transplantations d'ennemi à ennemi. À l'instant où j'écris, il est devenu impossible d'établir chez tel soldat ce qui justifie son appartenance à un camp plutôt qu'à l'autre. »
Toutes les nouvelles sont écrites à la première personne et les narrateurs sont entraînés dans des situations ubuesques certes, mais souvent poétiques et émouvantes. Comme cet homme trompant sa solitude avec une poupée qui le ramène à sa plus tendre enfance, ou cet amateur de billes qui se lance dans une collection démentielle pour échapper à une existence sans consistance, ou cet autre solitaire qui passe des heures dans les rayons d’un hypermarché…
Le rapport au corps et à la mort, l’homme et son mal-être face à une société toujours plus inquisitrice, la solitude et l’incompréhension des autres, c’est tout cela qui constitue le fil conducteur de ce recueil où la gravité n’empêche pas l’humour, ou l’absurde fait sourire mais aussi grincer des dents. « Nouvelles grinçantes », c’est vraiment une bonne formule.
Le Discours, L'Amateur de billes et Ainsi sont-ils
Quand lire c’est rire...
Qui a dit que les auteurs d’aujourd’hui ne nous faisaient plus rire ?t Ainsi sont-ils
Quand lire c’est rire...
Personne et c’est tant mieux !
Le hasard vient de glisser sous mes yeux trois livres qui ont dégourdi mes zygomatiques. Un livre de poche, Le discours de Fabcaro, a même provoqué quelques francs fous rires sous la couette car cet Adrien, la quarantaine déprimée, imaginant des discours pour le mariage de sa sœur, plus absurdes les uns que les autres mais tous trahissant un parcours de vie, m’a émue aux larmes.
Puis vint L’amateur de billes de Bernard Ascal aux éditions Rhubarbe. J’avais déjà beaucoup apprécié le ton décapant du même auteur chez le même éditeur dans Un cul-de-sac dans le ciel. J’ai retrouvé son œil perçant les travers de la société dans les récits de L’amateur de billes. Les situations ont beau être loufoques, l’imaginaire débridé, les détails cocasses, l’art de nous transporter en quelques pages dans la peau d’un autre, pas toujours comme il faut, est d’une jubilation qui happe et décale notre regard au présent, sur le sens de nos petites manies et de nos petites vies. Comme dit le préfacier Claude Louis-Combet, l’hilarité est grinçante mais l’art du conteur jamais défaillant : « le temps a beau être sombre, le plaisir reste entier. » Et la cerise sur le gâteau est le travail de la langue, j’ai savouré nombre formules et raccourcis de pensée. Si philosopher peut se faire en collectionnant des billes, philosophons quitte à finir calot, tacot ou mieux bille de terre !
Enfin, n’allez pas croire qu’il n’y a que les hommes pour avoir la plume rieuse. Isabelle Flaten avec Ainsi sont-ils aux éditions du Réalgar est ma troisième cartouche. Pour ceux que la lecture de fragments effraie, ils n’y penseront déjà plus au bout de la deuxième page. Ils seront même ravis d’aviser des textes de longueur inégale et se laisser prendre à l’art de la chute. Dans ce livre, on ne sait jamais qui on rencontre au prochain tournant. Isabelle Flaten croque tous azimut un homme en prison, une mère en maison de retraite, une ado en colo, un couple qui se délite, autant de bouts d’histoires qui pourraient être des bouts de nous qui sommes comme eux. Car l’autrice fait semblant de nous louer pour mieux nous peindre à rebrousse poil.
« Peut-on vivre sans l’autre ? »
« Peut-on vivre avec l’autre ? »
Isabelle Flaten ne répond pas mais traverse elle aussi à grandes enjambées stimulantes les coulisses de la comédie humaine. Là encore, on philosophe sans en avoir l’air, avec tendresse et justesse.
Ces trois livres démontrent que le rire rend intelligent et Bedos n’aurait pas dit le contraire. Alors, si vous croyez encore en parcourant les librairies et les bibliothèques, que toutes les nouveautés sont déprimantes, vous avez déjà trois références à dégainer !
Bernard Ascal en propose quatorze dans ce recueil. Si l'on devait trouver un point commun, une inflexion à cet ensemble, on pencherait du côté du futur, dans un fantastique où le cruel et l'horrible le disputeraient à l'absurde. Claude Louis-Combet parle en préface de « caractère post-kafkaien ». Il y a entre autres choses dans ce recueil une focalisation sur le corps. Une façon de le détailler comme à l'étal du boucher. Dès le premier texte, le héros toujours centré sur un je, constate rapidement, après la perte de plusieurs membres : Je suis un tronc... Une autre nouvelle parle d'amputations et de greffes. Une autre encore, en écho, commence par cet aveu : ...je me suis vendu en viager. J'ai cédé la totalité de mes organes à différents acheteurs... Un autre axe d'inspiration concerne la transformation cette fois de la totalité du corps. Ainsi est-il question ici d'homme-parpaing ou là, dans la nouvelle principale qui donne le titre éponyme au recueil, de la réduction de l'homme à la taille de son crâne pour se retrouver davantage condensé encore, à celle d'une balle de golf, ce qui pour un amateur de billes doit être un certain idéal à atteindre. En tout cas, chaque nouvelle de Bernard Ascal, écrite au cordeau, avec un style sobre et efficace entraîne son lecteur vers des contrées inattendues, étranges et effrayantes. On ne boude pas cependant pas son plaisir d'y dériver avec lui, et le grinçant de se mêler au délicieux.
Si vous souhaitez vous procurer ce livre
Ouvrage de 115 pages
ISBN 9782374750354
Prix public : 13 €
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Editions Rhubarbe, 10 rue des Cassoirs – 89000, Auxerre