Revue semestriel de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet

La rubrique Un écho de chanson est consacrée
à la poésie mise en chanson.

Dans le n° 63, juin 2017 :
Marc Ogeret - Un homme de scène et de mer

Photo : Marc Ogeret © droits réservés

En 1949, un jeune parisien de dix-sept ans - Marc Ogeret - né dans une famille modeste, abandonne ses études « afin d'échapper à l'ennui », pour entrer comme apprenti dans une fonderie. Il ne s'y attarde pas et devient stagiaire chez IBM avant de se faire embaucher dans les services administratifs de Renault. Il démissionne au bout de quelques mois puis s'inscrit, en 1950, au Conservatoire dramatique de la rue Blanche. Il y reste deux ans. Pour gagner sa vie, il fait la manche aux terrasses des cafés. À son répertoire des chansons de Léo Ferré, Félix Leclerc, Jacques Douai. Quelques semaines avant son service militaire, il auditionne chez Pierre Prévert qui le fait passer, dans le programme de Philippe Clay, à La Fontaine des Quatre Saisons. C'est le début d'une carrière dans les cabarets : Chez Agnès Capri, La Colombe, Chez Georges, etc. Philippe Soupault le fait entendre sur les ondes en l'invitant dans son émission Poètes à vos luths. Encouragé par Marc Alyn, il s'adonne à la composition musicale sur les poèmes de ce dernier et de Pierre Seghers. Peu convaincu par les résultats, il se recentre sur l'interprétation. En 1958, il est convié par le petit label GEM à enregistrer plusieurs 45 tours : Aristide Bruant, Guy Béart, Léo Ferré et des chants traditionnels. Entre 1962 et 1965, la carrière de Marc Ogeret est en plein essor : il est primé par l'Académie Charles Cros en 1962 ; remarqué par André Clergeat1 qui le fait enregistrer pour le label Pacific avant de l'entraîner chez Vogue ; distingué par l'Académie de la Chanson en 1963 ; invité par Luc Bérimont à participer à ses sessions « Chansons-Poésie » et figure, en 1965, dans le spectacle de Georges Brassens, à Bobino. En 1966, paraît, chez Vogue, son premier « Aragon "2. Marc Ogeret obtient alors d'intégrer la très populaire collection « Mode » qui se caractérisait par un prix de vente réduit et une large diffusion qui incluait des magasins de style Prisunic. Le 33 tours, à nouveau primé par l'Académie de la Chanson, connaît un tel succès que cette compagnie de disques publiera tous ses albums jusqu'en 1984.

Marc Ogeret choisira plusieurs fois de paraître dans des collections « bon marché ». Ce parti pris économique s'inscrit dans la démarche initiée, au début des années 50, par Jean Vilar au TNP, entre autres, pour réduire au maximum la barrière constituée par l'argent entre la culture et le public le moins à même d'y accéder.

Marc Ogeret est un homme de fidélité, de constance. Il en est ainsi avec le producteur André Clergeat tout comme avec le compositeur-arrangeur Michel Villard qui sera son orchestrateur, chez Vogue, durant vingt ans. Une même constance se manifeste avec les auteurs que Marc Ogeret aime chanter. Il ouvre et clôture, en 1958 et 1999, sa carrière enregistrée avec Léo Ferré ; consacre plusieurs albums à Louis Aragon, en 1966, 1974 et 1992 ; aborde Aristide Bruant en 1958 et 1978 ; interprète Jean Genet en 1970 et 1984 puis Jean Vasca3 en 1990. Avec l'auteur Jacques-Emile Deschamps dont Marc Ogeret colporte plusieurs chansons au cours des années 70 avant de lui consacrer, en 1981, un album entier, c'est une expérience de création en commun qui s'élabore : « Tout d'un coup, j'apportais au public quelque chose de totalement original. J'avais le bénéfice du climat d'un auteur-compositeur, de son univers (...) mais tout de même, le résultat était assez personnel. On travaillait ensemble sur le texte, la musique, on discutait... Et ce que je chantais de lui me ressemblait. « 4

À partir de 1992, une nouvelle complicité se fait jour, avec Marc Robine sous la direction duquel Marc Ogeret enregistre trois albums pour EPM — Aragon, les chants de marins et Léo Ferré. Nouvelle compagnie de disques, nouveau directeur artistique, nouveaux arrangements, nouveaux musiciens : une formidable opportunité de renouvellement pour fêter son soixantième anniversaire.

Outre ses interprétations de poètes, la démarche de Marc Ogeret se caractérise par la production d'albums souvent accompagnés de spectacles qu'il présente aussi bien en France qu'à l'étranger (Belgique, Canada, Egypte, Yougoslavie, URSS, etc.), bâtis à partir d'un thème : Les ballades d'autrefois en 1965, Autour de la Commune et Chansons contre en 1968, Chansons de la marine en bois en 1970 puis Chants de marins en 1996, Chansons de révolte et d'espoir en 1973, Chante la Révolution en 1988, Chante la Résistance en 1990. Ces divers répertoires sont traversés par sa forte conscience des injustices et des luttes sociales, irriguée par sa profonde empathie pour les gens du peuple — travailleurs de la mer, de la terre ou des hauts fourneaux.

Répondant à une question de Raoul Bellaïche5, Marc Ogeret s'explique sur sa manière d'interpréter : « Instinctivement, j'ai toujours chanté les chansons historiques, politiques, de la même manière qu'une chanson d'amour. Bien sûr, je ne chante pas tout pareil, mais un poème de Villon, je vais le chanter comme s'il avait été écrit hier. (...) Si je chante La Semaine sanglante, je ne pense pas à la Commune, au moment où je chante. Je pense aux mecs qui sont dans une manif, dans la rue. Je la chante comme si c'était la manif de Charonne. Autrement, si tu chantes historiquement, tu fais un exposé, tu fais un cours. J'ai toujours expliqué que, malgré les textes que je chantais, je ne faisais ni un cours d'histoire, ni un discours politique, ni un cours de français. Je fais un tour de chant. C'est clair. Je suis un chanteur, et, à côté, je peux faire du syndicalisme, je peux avoir des opinions politiques, je peux être un citoyen. Je fais ce que je veux. Mais au moment où je chante, je chante, c'est tout. »

Et côté citoyen, il faut évoquer, même brièvement, la permanente activité syndicale de Marc Ogeret, au sein du Syndicat Français des Artistes puis de l'ADAMI, afin de mieux promouvoir les droits des interprètes.

Maintenant, Marc Ogeret est en retrait. J'ai cherché à le joindre pour préparer cette note mais son état de fatigue ne lui permettait pas de converser. Parmi ses réponses à des questions de Jacques Roussel6, il en est deux qui, au moment de conclure, retiennent mon attention : « J'aurais dû être plus ambitieux, j'aurais dû être plus travailleur, mais ce ne sont pas des regrets. (...) Mon but n'était pas de devenir une star mais de passer ma vie en chantant, parce que, quand même, je chante depuis 1955 ».

« J'aime faire du bateau à voile. C'est peut-être ma grande passion. Le seul regret de ma vie, c'est de ne pas avoir fait de croisières. »

Avec près de 30 albums 33 tours et CD originaux dont 2 consacrés aux chants de mer, Marc Ogeret nous convie toujours à la découverte d'horizons qui, s'ils ne sont pas tous maritimes, sont, sans conteste, aussi vastes7.

Bernard Ascal

1 - André Clergeat (1927-2016) qui fut directeur artistique à partir de 1955 pour le label Pacific avant de l'être chez Vogue où il continua de soutenir Marc Ogeret, fut aussi rédacteur en chef de la revue Jazz Hot de 1953 à 1957, producteur d'émissions de jazz pour la radio et auteur de nombreux dictionnaires consacrés au jazz.
2 - Enregistré avec un trio constitué de Michel Villard au piano, Barthélémy Rosso à la guitare et Pierre Nicolas à la contrebasse.
3 - CD paru aux Editions du Petit Véhicule en 1990. Jean Vasca est décédé le 21 décembre 2016. Son 26ème album Saluts est sorti chez EPM en 2015.
4 - Propos recueillis par Serge Dillaz (Chorus n° 16, 1996).
5 - Propos recueillis par Raoul Bellaïche (Je Chante Magazine n° 10, 1993).
6 - Propos recueillis par Jacques Roussel le 14 octobre 1992 (Je Chante Magazine n° 10, 1993).
7 - Un coffret de 3 CD « Marc Ogeret chante les poètes » est disponible chez EPM.

© Bernard Ascal, 2017. La reproduction de ce texte, en partie ou en tout, est soumise à autorisation.

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