Revue semestriel de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet

La rubrique Un écho de chanson est consacrée
à la poésie mise en chanson.

Dans le n° 60, Décembre 2015 :
Michèle Bernard : une voix essentielle

Photo : © Catherine Cour

Avec plus de 250 chansons à son actif, avec bientôt 20 albums enregistrés, avec des salles combles et ravies partout où elle se produit, avec ce don si rare d'aborder, par la chanson, les sujets les plus ardus, l'auteure-compositrice-interprète Michèle Bernard, l'une des voix majeures de l'expression francophone, est encore à découvrir par nombre d'entre nous.

Michèle Bernard est née et a grandi dans la région lyonnaise. Ses parents, soucieux de lui transmettre une éducation la meilleure possible, lui font donner des cours de piano, contre son gré, dès l'âge de six ans. Cet apprentissage, sérieusement mené, se révélera précieux quelques années plus tard.

À l'école communale, elle s'initie, par les récitations, au goût particulier de la poésie. Celui-ci va se développer tout au long d'une scolarité de plus en plus marquée par l'étude des lettres : « J'étais globalement attirée par tout ce qui concernait la littérature, l'usage des mots, le français, les dissertations, c'est là que je me sentais à l'aise. Adolescente, j'étais attirée par toutes les formes artistiques, je faisais aussi de la peinture…».

En 1966, alors que Michèle Bernard arrive à l'Université. Elle s'inscrit au Conservatoire d'art dramatique de Lyon. Son penchant pour l'expression poétique prend une tournure nouvelle. Elle participe à des soirées d'étudiants où chacun interprète, pêle-mêle, des textes signés Pablo Neruda, Maïakovski, Nazim Hikmet, des chansons de Brassens et d'Anne Sylvestre, des poèmes mis en musique par Hélène Martin ou par d'autres. Arrive 1968, une année importante à bien des égards puisque Michèle Bernard, pour gagner en liberté, s'affranchit du piano au profit de l'accordéon et devient membre de plusieurs troupes de théâtre régionales. On lui propose, peu après, d'écrire une musique de scène. Cette première expérience concluante se renouvellera et lui permettra de s'aguerrir en tant que compositrice. En 1974, à la faveur d'un engagement comme interprète pour la création d'Histoire de chanter, elle prend réellement confiance en sa voix. Une chanteuse naît. Elle se produit en faisant la manche dans les restaurants lyonnais. À son répertoire : Anne Sylvestre, Jacques Brel, Francis Blanche, Jean Arnulf et nombre de chansons traditionnelles. Il faut encore patienter pour que son amour des mots la mène à écrire ses propres textes et à les présenter sur scène. 1978 : elle est sacrée, avec ses chansons, « révélation » au Ilème Printemps de Bourges, primée par l'Académie Charles Cros pour son album Le kiosque et chante à Paris, à l'Olympia et à la Cour des Miracles. Un plan de carrière lui est proposé mais Michèle Bernard n'est pas femme à se faire dicter son chemin. Elle entend tracer elle-même sa voie et c'est par conséquent sans le soutien du showbizz et de ses stratégies commerciales qu'elle va créer ses spectacles et enregistrer.

Dès lors et jusqu'à aujourd'hui, Michèle Bernard ne va plus cesser de chanter : partout en France et parfois à Paris (Espace Kiron en 2002, Café de la Danse en 2006, Théâtre d'Ivry en 2008 et 2012) mais aussi en Afrique de l'Est (1980), au Québec (1980 et 1993), au Chili et au Mexique (1986), en Amérique Centrale (1989), au Togo pour une résidence de création avec des musiciens du pays (2002) et, plus régulièrement, en Suisse et en Allemagne...

Ses créations scéniques sont toutes marquées du sceau de l'exigence créatrice et de l'attention fraternelle. Ainsi dans Des nuits noires de monde, associée avec le groupe vocal Évasion, elle évoque, par le truchement de plusieurs langues, les frontières du monde autant que celles de l'intime ; elle chante « l'incessante errance des humains entre l'instinct de guerre et l'envie de paix. » Dans L'Oiseau noir du champ fauve / Cantate pour Louise Michel, Michèle Bernard, interprète plusieurs poèmes de la Vierge rouge qui nous font découvrir des faces méconnues de cette femme d'une exceptionnelle intransigeance : « J'ai eu envie de réécouter la petite musique de ce personnage austère et fascinant qui a « jeté son cœur » à la révolution alors qu'elle se rêvait musicienne et poète. » Plus récemment, elle a créé, avec la comédienne Monique Brun, un spectacle intitulé Un p'tit rêve très court* qui alterne chansons et textes poétiques.

Une présentation de Michèle Bernard ne peut se concevoir sans aborder son travail envers le jeune public : de la mise en scène, en 1992, de Planètes écrit par André Tavernier aux récentes créations des contes musicaux Zébrichon et Un poirier m'a dit, en 2015. Entre temps, elle a participé, en 1993, au premier spectacle conçu pour les enfants par Anne Sylvestre Lala et le cirque du vent ; écrit des chansons pour la version scénique du Prince de Motordu de Pef ; enregistré les CD Nomade en 1997, Poésies pour les enfants en 2004 puis Monsieur j'm'en fous en 2008 ; créé pour la scène et le disque Sens dessus dessous qui a reçu, en 2011, le prix « Jeune public » de l'ADAMI. N'omettons pas non plus son intense activité pédagogique. Elle anime des ateliers-chansons et des stages de formation à Villeurbanne, puis à partir de 1992, chez elle, à Saint-Julien-Molin-Molette où elle lance, avec ses amis l'association Musiques à l'Usine qui organise, entre autres, te festival Les Oiseaux Rares.

À ce survol de ses réalisations, il convient d'ajouter, pêle-mêle, ses musiques pour le cinéma - La Chanson du mal aimé de Claude Weiss ; la télévision - Soleil noir et Groupe Octobre de Michel Van Zele ; le théâtre - Jacquard ou la chanson de la soie de Dominique Voisin, Monsieur de Pourceaugnac par la compagnie La Chenille, Ubu Roi par la compagnie Jean-Louis Hourdin, Le Théâtre ambulant Chopalovith mis en scène par Jean-Paul Wenzel ; la danse - Le Petit cheval de Mexico pour la chorégraphe Maryse Delente et le Ballet de Lyon.

J'évoquais, en introduction, ce don que possède Michèle Bernard pour traiter d'une manière très simple, non réductrice et souvent humoristique les sujets les plus complexes. Ainsi dans Qui a volé les mots ? parle-t-elle de l'origine des mots et du métissage constant que chaque langue vivante entretient avec tes autres : « Qui a volé les mots ? Encore ces Français, quel culot, voler les mots ! (...) et les coller en douce dans son dictionnaire (...) Ah vraiment ces Français sont pas nets, de vrais pickpockets ! » ; dans Maria Szusanna, c'est l'errance et la difficile intégration qu'elle aborde : « Reste-t-il pour croquer ta vie manouche / Quelques dents dans ta bouche (...) Roulottes-tu toujours ta bosse/ Si belle encore mais comme tes semblables / Toujours indésirable » ; ou bien, dans Le mouton dans la baignoire, l'exil, la promiscuité, la transplantation des coutumes et le rôle de la femme analysés par un ovin flegmatique. Il faut aussi relever dans la démarche de Michèle Bernard une attirance constante pour le travail collectif — peut-être un héritage de sa pratique initiale du théâtre. Ce sont de véritables troupes qui interprétèrent la Cantate pour Louise Michel ou Des nuits noires de monde et dans ces deux réalisations, le chant choral est constitutif de la matière sonore. De même les chœurs sont-ils indissociables de titres tels Pentes rousses / L'étrange douceur ou de ceux du CD Poésies pour les enfants, paru en 2004.

Cette manière de travailler si ouverte sur les autres, si accueillante — « transmettre », « faire ensemble » sont des notions cardinales pour Michèle Bernard — a certainement ralenti sa propre écriture. Aussi attendons-nous, avec impatience, la sortie au printemps 2016, d'un triple-CD anthologique et, à l'automne 2016, la publication d'un nouveau CD intégralement constitué de chansons originales. Rendez-vous pris !

Bernard Ascal.

* Le récital « Un p'tit rêve très court » sera présenté au Théâtre Antoine Vitez d'Ivry-sur-Seine le samedi 20 février 2016. Site Michèle Bernard : www.michelebernard.net

© Bernard Ascal, 2017. La reproduction de ce texte, en partie ou en tout, est soumise à autorisation.

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