Editions Rhubarbe
Recueil de 62 pages au format 12,5x20 cm
Ce carnet de marche en montagne a le souffle forcément court des petites proses, quelques lignes allant à l'essentiel, mais alors cinglantes! Selon que l'on aura ou non l'expérience des dos cassés par les lanières du sac, les pieds en bouillie, l'oeil vitreux, l'esprit aussi vif que celui d'une amibe; selon qu'on se sera, ou pas, accommodé en trichant un peu, des déceptions du paysage et des autres randonneurs, on rira plus ou moins jaune.
Alain Kewes
1
Après la montée, la descente, après la descente, la montée précédant une nouvelle descente devançant une prochaine montée qui anticipe…
Ah les pompes des cours de gymnastique scolaire, il n’y avait que quelques séries de dix à enchaîner !
Ah les chapelets des cours de catéchisme, il n’y avait que quelques séries de cent à égrener !
Abrutissement hypnotique engendré par la fatigue et la répétition ad libitum.
Perte irrémédiable du libre-arbitre.
Effondrement de la volonté.
Une-deux up-down monter descendre sans issue.
2
Ici, le purgatoire, pas d’horizon, pas de largeur, le ciel parfois visible juste au-dessus de la tête comme au travers d’un conduit de cheminée. Chacun y vient purger une hypothétique peine. Ecole de la faute, du rachat par l’épuisement volontaire. Préparation à notre propre fin ? à celle du monde ?
3
Je croise quelques randonneuses.
Nul doute qu’en d’autres lieux ces femmes sont jeunes et belles. Ici, après plusieurs heures de marche, leurs seins, quand il leur en reste, pendent comme des outres desséchées, pareilles nos couilles.
© Bernard Ascal
La Mère Michel à lu, automne 2009
article de Michel Host
Le grimpeur des cimes, voire le randonneur, s’exposent à l’inconvénient imparable de se trouver arrêtés contre l’immensité céleste. Perchés sur la pointe du pic, ils n’ont plus que le saut dans le vide à tenter, ou la descente, et, quoi qu’ils en aient, ce sera «descente ou remontée, retour à la case départ.» Bernard Ascal, poète, nouvelliste et éditeur de musique, s’applique à développer, dans Un cul-de-sac dans le ciel, cet étonnant paradoxe du grand air respirable, des grands espaces désirables s’étiolant en raréfaction d’oxygène, en étroitesses inconfortables. Bien entendu ce sont les lectures d’enfance les exploits de Gaston Rébuffat… le Cervin… Étoiles et tempêtes… sans oublier le sherpa Tensing… Premier de cordée… Himalaya, premier 8000 – qu’il met à mal, toutes ces épopées ascensionnelles en lesquelles a cru et trouvé à rêver la Mère Michel. Elle lui pardonne volontiers son impertinence, car de tempérament méditatif, et chargée d’un chat fugueur, elle ne s’est jamais risquée en haute montagne, et surtout, à lire ces 60 pages d’impressions, d’expériences, de réflexions piquantes mêlées de croquis qui font penser à un Chaval alpiniste qui n’aurait dessiné que des lacs et des sommets, elle a ri et souri tout à son aise. Bref, elle s’est bien amusée.
Bernard Ascal connaît d’ailleurs comme personne le principal ressort du rire, qui est de ne pas se raconter d’histoires à soi-même et de bien voir que les ridicules ne manquent ni chez soi ni chez les autres, et pas davantage chez les grimpeurs.
La randonnée, l’escalade, ce sont avant tout des mortifications volontaires et justifiées : «…je traverse, au sein d’un monde en détresse, de nombreuses crises de bien-être. Pour atténuer ces privilèges, je partage mon temps libre entre des oeuvres de charité et d’exténuantes courses montagnardes. » Qu’il le veuille ou non, l’homme d’aujourd’hui, imbu de l’esprit des Lumières, gonflé à la raison raisonnante, expie toujours quelque péché aussi originel que mystérieux. Le bien-être coupable quand il y a tant d’êtres plongés dans le mal-être, probablement… Notre auteur se pose ouvertement la question : « Mériter quoi, expier quoi ? » La marche vers les hauteurs, ce sont le froid et le gris, l’épuisement physique et moral, les mouches et toutes sortes d’insectes alors que vous êtes plus dépourvu que la vache, laquelle possède au moins sa queue pour s’en défendre… Ce sont de douloureuses prises de conscience sociologiques : « Ni maçons / ni éboueurs / ni terrassiers » parmi les grimpeurs… Ce sont les anonymes se reconnaissant d’une autre essence, par un sourire ambigu, quand ils se croisent sur les sentiers… Les désagréments sont multiples. Des agréments, Bernard Ascal ne paraît pas avoir le souvenir. C’est ce qui fait sans doute le fond de ce masochisme sportif. L’enfer déjà ? Non, le « purgatoire » : « École de la faute, du rachat par l’épuisement volontaire. » Ce qui fait rire encore, c’est l’intense méditation consécutive à ces efforts apparemment absurdes : le corps y trouve certainement son compte, l’esprit aussi, qui met en jeu d’autres définitions, découvre de nouveaux concepts : « La fatigue : nouvelle quête, nouveau créneau de vente, nouveau pèlerinage. » « Fatigue-Travail… Fatigue-Loisir… » À voir les choses d’aussi haut, elles se précisent, se renversent, prennent d’autres couleurs. L’ivresse des cimes, cela dessoûle. C’est l’avantage, c’est l’expérience. On se rassure du même pas : les taupes, creusant le sol dans un élan inverse, rencontrent parfois le cul-de-sac de la table rocheuse. Bloquées, tout comme le grimpeur, les pauvres myopes ! Le paradoxe initial posé par Bernard Ascal prend tout son sens : la jouissance naît aussi de l’empêchement du jouir, et, contre toute attente, cette vérité qu’il tisse dans la chaîne et la trame des mots est joyeuse et roborative.
Cahier Critique de Poésie 18 (CIPM, octobre 2009)
article d'Éric Meunié
Carnet d'alpiniste amateur, lapidaire, essoufflé mais cinglant, le suspense tient au ventre.
Il griffonne des cartes postales de renfrogné, hisse sa neurasthénie, sème quelques schémas ici et là qui réduisent le lac à un rond, la montagne à un nez. On dirait des tablatures.
Un cul-de-sac dans le ciel contient : Bernard Ascal, scandé. Vanité du marcheur silencieux dont on entend le pas. Quelle montagne pour oublier que ce cœur bat sans cesse, et qu’aucune cime ne creuse la halte d’un lit de cigogne ? Retrouverons-nous le temps où nos jambes furent des ailes? Ce petit livre accompagne la pierre qui rebondit sagement dans sa cage puis dévale en catastrophe. Entre le vacarme du torrent et l’avalanche causée par sa voix, respire l’écosystème d’un marcheur musicien.
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