Un CD de 20 titres : EPM-Universal - 6751121
« Tout l’espoir n’est pas de trop pour regarder le siècle en face. »
Ainsi s’exprimait Aimé Césaire en 1941 devant les déchaînements d’agressivité qui ravageaient la planète au milieu du XXème siècle. Des forces similaires d’anéantissement sévissent en ce moment même — de l’archaïque couteau d’égorgeur toujours en usage aux armes létales les plus sophistiquées — et les paroles d’Aimé Césaire ne seront jamais assez relayées pour retremper notre confiance en l’humain.
10 ans déjà depuis la disparition d’Aimé Césaire, le 17 avril 2008.
Pour cet hommage, j’ai souhaité associer ses poèmes à l’un des textes de son épouse Suzanne. Ils se sont aimés, ont forgé mutuellement leur indépendance d’esprit, ont lutté ensemble… et furent parents de six enfants.
Aimé CESAIRE
Aimé Césaire naît sur l’île de la Martinique en 1913, d’un père petit fonctionnaire de Basse Pointe et d’une mère couturière de formation. Durant ses études au lycée de Fort-de-France, en classe de cinquième, il se lie d’amitié avec Léon Gontran Damas qui arrive de Guyane. Une bourse d’études permet à Aimé Césaire de poursuivre sa scolarité à Paris. Il y rencontre Léopold Sédar Senghor qui lui révèle l’Afrique et retrouve Damas déjà installé en France. S’engage alors, entre ces trois hommes, une fondamentale prise de conscience identitaire à laquelle participent nombre d’étudiants noirs sans distinction d’origine territoriale. Il en naît la revue L’Étudiant noir dans laquelle s’affirme le refus du modèle politique et culturel colonial, et se forge une notion porteuse d’espoirs et de bouleversements considérables : la « négritude ». C’est aussi à Paris qu’Aimé Césaire rencontre et épouse, en 1937, Suzanne Roussi. De leur union naîtra six enfants. Césaire donne une première version du Cahier d’un retour au pays natal qui est publiée par la revue Volontés juste avant son départ pour la Martinique, fin août 1939. Le 3 septembre la France entre en guerre contre l’Allemagne. À la mi-septembre, Aimé et Suzanne Césaire ainsi que leur premier fils débarquent à Fort-de-France. Durant la traversée de retour vers Le Havre, leur navire est torpillé et coulé.Professeur de Lettres au lycée Schoelcher de Fort-de-France de 1940 à 1945, il fonde avec son épouse, enseignante elle aussi, avec René Menil, Aristide Maugée et d’autres amis, la revue Tropiques qui conteste, au fil de ses quatorze numéros, l’ordre vichyste institué par le gouverneur de l’île. Suzanne Césaire figure plusieurs fois au sommaire pour des essais qui exerceront une influence durable et c’est par cette revue qu’André Breton découvre Aimé Césaire en 1941
En 1945, il est élu maire de Fort-de-France (il le restera jusqu’en 2001) et quelques mois plus tard député communiste de la Martinique. Dès son élection à la Chambre des députés, il travaille à la départementalisation des Antilles, de la Guyane et de la Réunion. Après sa fracassante démission du parti communiste en 1956, il fonde le Parti Progressiste Martiniquais qu’il préside jusqu’en 2005. De 1958 à 1993, il est député apparenté au groupe socialiste
Dans le même temps Aimé Césaire développe une œuvre littéraire à la portée internationale, s’articulant autour de la poésie, du théâtre et de la réflexion historique et politique. En 1950 il publie Discours sur le colonialisme dont la deuxième édition en 1955, aux éditions Présence Africaine*, imprègnera profondément les mouvements émancipateurs. L’année 1956 voit la parution de l’état définitif du Cahier d’un retour au pays natal , et de la tragédie Et les chiens se taisaient. En 1962, Césaire publie une étude sur Toussaint Louverture dont la rébellion a permis qu’en 1804 Haïti devienne le premier pays à se libérer de ses structures esclavagistes et à proclamer son indépendance. Il donne ensuite pour le théâtre La Tragédie du roi Christophe en 1963. Cette pièce qui aborde les problèmes de la décolonisation, après avoir été jouée à travers le monde, entre, en 1991, au répertoire de la Comédie Française. En 1967, avec Une saison au Congo , il retrace le parcours tragique de Patrice Lumumba.
Dans son œuvre où le destin personnel se confronte à l’aventure collective, Césaire bat en brèche toutes les formes d’enfermements. La luxuriance de son verbe aux éclats surréalistes, la puissance de son souffle, n’ont d’égale que sa confiance en l’humain, en sa capacité à projeter des futurs plus généreux. La poésie de Césaire propage, ainsi que l’exprime Lilyan Kesteloot, « la force quasi magique de la foi qui déplace les montagnes ».
* Sous l’impulsion de Alioune et Christiane Yandé Diop est créée à Paris, en 1947, la revue Présence Africaine, puis en 1949, la maison d’édition du même nom.
Suzanne CÉSAIRE
Née en 1915 , aux Trois-Îlets, en Martinique, Suzanne Roussi est fille d’une institutrice et d’un employé d’une fabrique sucrière. C’est une jeune bachelière remarquée pour son intelligence et sa beauté qui arrive à Paris en 1933 afin de mener plus avant ses études. Elle se lie d’amitié avec la comédienne Jenny Alpha, l’avocate Gerty Archimède, les poètes Léon Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor. Elle est étudiante à l’Ecole normale supérieure lorsqu’elle rencontre, en 1936, Aimé Césaire. Ils s’épousent en juillet 1937. Pour l’occasion, la mariée arbore « un tailleur rouge, pour bien marquer la dimension laïque, flamboyante et amoureuse de leur union » dixit Daniel Maximin *.
Elle cofonde en Martinique, en 1941, avec son mari, avec René Ménil, Aristide Maugée et Lucie Thésée, la revue Tropiques. C’est une publication de résistance à l’ordre fasciste qu’imposent aux Antilles les gouverneurs délégués par Vichy.
Les qualités littéraires et d’analyses tant politiques qu’artistiques des contributions de Suzanne Césaire à Tropiques préfigurent une grande œuvre à venir. Hélas, trop de fronts à mener — la responsabilité d’une famille nombreuse, le militantisme pour l’antillanité et les droits des femmes, le métier de professeur de lettres, le soutien aux actions de maire et député de son mari sans compter les allers et retours entre Fort-de-France et Paris qu’engendrent ces mandats — mettent à mal non seulement sa capacité à écrire mais aussi leur couple.
Suzanne et Aimé Césaire vivent en France de 1945 à 1949, retournent en Martinique puis, en 1955, se réinstallent en métropole. Ils divorcent en 1963. Trois ans plus tard, en 1966, Suzanne Roussi décède d’un cancer du cerveau.
*L’oeuvre écrite de Suzanne Césaire est brève : sept articles publiés par la revue Tropiques auxquels s’ajoute une adaptation pour le théâtre d’une nouvelle de Lafcadio Hearn, Youma, aurore de la liberté, montée à Fort-de-France dont le texte semble perdu. Ils ont été rassemblés et présentés par Daniel Maximin, en 2009, dans un remarquable ouvrage publié par les éditions du Seuil sous le titre Le Grand camouflage.
Bernard Ascal
Bernard ASCAL
Chant et diction (1 à 20)
est, dans l’ordre d’apparition, accompagné par :
Benoît SIMON
Guitare (1 – 6 - 18)
Philippe DOURNEAU
Clarinette (1)
Jean-Michel CHARBONNEL
Contrebasse (1 – 6 – 10 – 13 – 15 – 18 - 20)
Yves MOREL
Accordina (3 - 4) ; Trombone (7 – 9 – 11 - 16) ;
Claviers (11) ; Arrangement (7 – 9 – 11 - 16)
Delphine FRANCK
Violoncelle (3 – 4 – 7 – 9 – 11 - 16)
Matthias MAHLER
Trombone (6 - 20)
Cécile CHARBONNEL
Voix (6)
Jérôme LEFEBVRE
Guitare (10)
Sylvain DURAND
Piano (13 – 15 – 19 - 20) ; Arrangement (19 - 20)
Emmanuelle SCHREIBER
Violoncelle (19)
Brice PICHARD
Trompette (20)
Les 20 titres de cet album proviennent de 3 sources :
4 titres sont extraits du CD Senghor-Césaire –Damas paru à l’occasion du centième anniversaire de Léopold Sédar Senghor ;
Quatre titres sont extraits du CD-double restituant, sous la forme d’un oratorio, l’intégralité du poème d’Aimé Césaire Cahier d’un retour au pays natal. Ce CD, qui fut « Coup de cœur 2008 » de l’Académie Charles Cros, devait être remis à Aimé Césaire le 26 juin 2008, pour son 95ème anniversaire. Son hospitalisation, le 9 avril, puis son décès le 17 avril en ont décidé autrement ;
Douze titres sont des enregistrements originaux — six poèmes dits et six poèmes chantés qu’accompagnent les musiciens Delphine Franck et Yves Morel — réalisés pour cette présente parution par Jacques Bourget, au studio La Mare Blanche, à Pavilly.
William LOPEZ (2006)
Jean-Michel CHARBONNEL (2007)
Gaël ASCAL (2007)
Jacques BOURGET (2018)
William LOPEZ (2006 - 2008) ; Jacques BOURGET (2018)
Pierre LUZY (2006 - 2008)
Jacques BOURGET (2018)
℗ 2006 Bernard ASCAL : 10 – 13 – 15 - 20
℗ 2008 Bernard ASCAL : 1 – 6 – 18 - 19
℗ 2018 Bernard ASCAL : 2 – 3 – 4 – 5 – 7 - 8 – 9 – 11 – 12 – 14 – 16 – 17
Césaire de la meilleure adaptation : Bernard Ascal
Aimé Césaire nous a quittés voilà 10 ans, le 17 avril 2008, peu de temps avant son 95ème anniversaire. Poète et homme politique, chantre de la décolonisation, héraut de la négritude, il reste à coup sûr une image forte, un symbole incontestable, la figure emblématique de l’écrivain contestataire qui va au-delà des mots pour se lancer dans l’action. Mais est-il pour autant encore lu aujourd’hui ? L’occasion en tout cas nous est donnée de nous (re)familiariser avec son œuvre par la parution chez EPM d’un Aimé Césaire – 10 ans déjà. 19 poèmes de l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal et un texte de son épouse Suzanne Césaire forment la base du disque. 6 poèmes dits et 14 mis en musique. Le passeur de poésie à l’origine de ce disque se nomme Bernard Ascal. L’homme n’en est pas à son coup d’essai, loin de là. Artiste multi-fonctions (à la fois poète, écrivain, musicien, chanteur, directeur artistique et peintre), il est déjà l’auteur de nombreux disques consacrés à la poésie du XXème siècle (Pierre Mac Orlan, Raymond Queneau, Philippe Soupault…). Tombé en amour en 1967 de l’œuvre du poète martiniquais, qui lui ouvrira par ailleurs les portes de la littérature du monde noir, Bernard Ascal avait déjà eu l’occasion de le chanter, avec d’autres représentants de la Négritude (Léopold Ségar Senghor, Léon-Gontran Damas…). Le présent disque compile d’ailleurs 8 titres déjà parus en 2006 et 2008, et y ajoute 12 enregistrements inédits.
Que les amateurs de chansons soient toutefois avertis. La poésie d’Aimé Césaire, pour attirante qu’elle soit, n’est pas de celles qui s‘offrent facilement. Rebelle aux conventions autant que son auteur, elle n’adopte pas la forme rassurante de la poésie classique. Point question ici de vers encadrés et de rimes, mais de textes en vers libres qui tirent leur grande musicalité du langage et des tournures, créant un foisonnement d’images qu’on ne peut appréhender pleinement qu’au fil des écoutes. Un peu d’effort nécessaire, certes, mais quelle récompense à la clé ! Qu’on en juge : C’était un nègre dégingandé sans rythme ni mesure. Un nègre dont les yeux roulaient une lassitude sanguinolente. Un nègre sans pudeur et ses orteils ricanaient de façon assez puante au fond de la tanière entrebâillée de ses souliers. La misère, on ne pouvait pas dire, s’était donné un mal fou pour l’achever. Ou encore : Le négrier craque de toute part. Son ventre se convulsé et résonne. L’affreux ténia de sa cargaison ronge les boyaux fétides de l’étrange nourrisson des mers ! Et ni l’allégresse des voiles gonflées comme une poche de doublons rebondie, ni les tours joués à la sottise dangereuse des frégates policières ne l’empêchent d’entendre la menace de ses grondements intestins. Autant de textes forts qui, près de 80 ans plus tard, sont toujours autant d’actualité, à notre époque où le racisme et les inégalités sociales semblent plus que jamais reprendre du poil de la bête. Et dont la forme ne dépareillerait pas dans le répertoire d’un slameur. Une telle liberté de ton exige une musique sans barrières. Oubliez dès lors les mélodies faciles ou les traditionnels couplets-refrains, place à un accompagnement aussi riche en instruments (guitare, clarinette, trombone, piano, violoncelle…) que dénué d’exotisme – alors que le sujet aurait pu appeler à la rescousse les sons et airs africains. En orfèvre, Bernard Ascal a su dégager les harmonies textuelles pour les glisser sans accrocs dans nos oreilles curieuses. Délicat ouvrage que celui-là.
A l’écoute de ce disque nous est venue l’envie de nous plonger dans l’œuvre d’Aimé Césaire, pour en apprécier les fulgurances poétiques à notre propre rythme intérieur. On peut supposer que tel était aussi le but poursuivi. Mission accomplie.
Si vous souhaitez vous procurer le CD :
www.epmmusique.fr référence : CD-audio EPM – 6751121