CD-audio / EPM 987032
Pour fêter ses quatre-vingt-cinq ans, Rosalie DUBOIS retourne en studio et enregistre, sous la direction artistique de Bernard ASCAL, sept nouveaux titres écrits par Pierre Mac ORLAN.
À la fin des années cinquante, une jeune étudiante à la Faculté de Droit de Paris, s'apprête à devenir avocate. Pour payer ses études, elle exerce le métier de poissonnière rue des Abbesses. Elle compte parmi ses clients Pierre Mac Orlan et se lie d'amitié avec un autre autochtone du quartier : Bernard Dimey. Rien jusqu'alors ne la destine à devenir chanteuse. Relevant un défi estudiantin, elle se présente en 1959 au concours « Les N° 1 de Demain » organisé par Europe 1 et le remporte avec Julie la rousse de René-Louis Lafforgue. Ce succès se renouvelle un plus tard avec Parce qu'un air d'accordéon qui lui permet de remporter le « Coq d'Or de la Chanson Française ».
Elle devient une vedette populaire en très peu de temps et avec Cherbourg avait raison, Rosalie Dubois s'installe durablement dans le cœur du public. Elle est, suivant ses propres termes, un « pur produit du show-biz », issue des « Star Academy » de l'époque.
Après un passage en vedette américaine à l'Olympia en 1962, elle est victime d'un grave accident de la route. Hospitalisation, rééducation puis plongée dans une longue dépression marquée par un usage destructeur de l'alcool. Rosalie Dubois, en dépit de son empressement à remonter sur scène dès 1963, considère que sa véritable seconde chance lui est offerte par Suzy Lebrun, la directrice de l’Echelle de Jacob, lorsqu’elle la programme en 1968.
C’est après avoir été en première partie de Fernand Reynaud à Bobino en 1970, qu’elle manifeste son désir d’interpréter un répertoire en accord avec ses idées. La rencontre avec Eugène Guillevic, un originaire tout comme elle du Morbihan, va être déterminante puisqu'elle se concrétise en 1974 par un 33 tours incluant 12 textes du poète.
Afin de mener son chemin en toute indépendance et pour parfaire cette métamorphose si rare dans ce type de carrière, Rosalie Dubois créée, en 1978, avec son mari Bernard Berger le label ABR qui produit notamment les 5 albums des chansons révolutionnaires (une soixantaine de titres allant de 1789 à 1936). De nombreux spectacles jalonnent ces années dont plusieurs passages à la Fête de l'Humanité (1978-1981) avant qu'elle décide, en 1992, d'interrompre ses prestations publiques.
Très attachée à ses amitiés montmartroises, Rosalie Dubois avait enregistré de nombreux titres de Bernard Dimey mais aucun de Pierre Mac Orlan. Elle souhaitait combler ce qu’elle ressentait comme un manque dans son parcours.
Pendant l’été 2018, alors qu’elle vient de fêter ses quatre-vingt-cinq ans, Rosalie Dubois enregistre sept poèmes de Pierre Mac Orlan qui, regroupés avec ses enregistrements anciens de Bernard Dimey, Maurice Fanon, Guy Béart, Eugène Guillevic… donnent naissance au CD à forte connotation littéraire « Couleurs & Vernis ».
Rosalie DUBOIS, voix : 1 à 22
Bernard ASCAL, voix : 2 – 4 – 6 (duos avec Rosalie DUBOIS)
Titres 1 à 7
Bernard ASCAL : direction artistique
Yves MOREL : direction musicale et arrangements (2 – 3 – 4 – 5 – 6)
Nicolas NOËL : piano (1)
Bertrand COULOUME : contrebasse (1 - 7)
Jean-Baptiste GAUDRAY : guitare (2 – 3 – 4 – 5 – 6 - 7)
Yves MOREL : trombone (2 - 3) et accordina (4 – 5 - 6)
Dominique CHEVIET : flûte (2 – 5 - 6) et saxophone soprano (3 - 5)
Delphine FRANCK : violoncelle (2 – 3 – 4 – 5 - 6)
Franck GIBAUX : percussions (2 – 3 - 4)
Jacques BOURGET : Prise de son, mixage et mastering en 2018.
Studio « La Mare Blanche » à Pavilly
Titres 8 à 14 + 16
Manuel VILLAROEL : claviers
Laurent MARICCO : batterie
Tony PIAZZA : basse
André BERNOT : accordéon
Jean-Marie MIGEOT : prise de son et mixage de janvier à avril 1982.
Studio « Décibel’s JMM » (Paris)
Titre 15 - Ensemble instrumental de Bob SELLERS
Titres 17 - 18 - Ensemble instrumental de Robert VALENTINO
Titres 19 - 20 - 22 – Ensemble instrumental de Gaby WAGENHEIM
Titre 21 - Arrangement : Pierre DELAS. Accordéon : Jean-Louis ROQUES
Bernard Ascal P 2018 (1 + 7) ; ABR P 2018 (2 à 6) ; P 1982 (8 à 14 + 16) ; P 1967 (15) ; P 1965 (19 + 20 + 22) ; P 1990 (21)
Ricordi P 1962 (17) ; P 1960 (18)
© 2018 Anaïs MAGNIN : Photo recto du digipack
Rosalie sort du bois !
Si je vous dit Rosalie, Rosalie Dubois…
Cette année-là, Dalida triomphe avec Guitare et tambourin, Come prima et Bambino, Piaf s’effondre sur scène à New-York, la chanson de Béart bruisse de L’eau vive, Brel enregistre Ne me quitte pas en pleurant Suzanne Gabriello, en fin décembre Johnny est révélé et moi je nais. Nous sommes en 1959 et l’un des grands succès radiophoniques est alors Julie la rousse, de René-Louis Lafforgue, interprété par cette débutante, qui plus est fraîche poissonnière (on l’imagine chantant à la criée), qu’est Rosalie Dubois qui, avec ce titre, remporte le concours « Les N°1 de demain » parrainé par Europe 1. L’année suivante, malgré l’avènement du yéyé, Rosalie remporte « Le Coq d’or de la chanson française » avec Parce qu’un air d’accordéon, de Jacques Larue et Guy Magenta. Passage à Bobino en 1961, énorme succès populaire avec Cherbourg avait raison, de Jacques Larue, Eddy Marnay et Guy Magenta. La route du succès est toute tracée pour Rosalie Dubois, nul n’est besoin d’imaginer qui succédera bientôt à Piaf dans le cœur des gens : laissons Mireille dans son HLM d’Avignon.
La route du succès… Ben non. Très grave accident de la route qui interrompt brutalement, en 1962, la carrière de Rosalie Dubois. Après une année de soins intensifs, elle est la proie d’une profonde dépression qui entrave à de multiples reprises, ses retours sur des scènes bien plus modestes, loin des trompettes d’une renommée qui, cruelle, a très vite cherché à l’écarter. Quittant de fait l’artifice, la superficialité du show-business, l’épreuve est l’occasion d’une remise en question. Son répertoire va, en quelques années, changer du tout au tout et devenir conforme à ce qu’elle est vraiment. En 1973, cinq ans après Jeanne Moreau, Rosalie est invitée par le poète breton Eugène Guillevic à le chanter et à l’enregistrer ; en 1978, compagne de route qu’elle est depuis longtemps du PCF, elle enregistre 60 chansons de contestation qui vont de la Révolution française au Front populaire : Le chant des ouvriers, Gloire au 17 e, Le chiffon rouge, Le temps des cerises, Le drapeau rouge, L’internationale… Après nombre de passages à la Fête de l’Humanité, elle cesse en 1992 de se produire en public.
Irrémédiablement perdue pour la chanson ? Apparemment.
En 2007, Bernard Ascal, artiste mais aussi directeur de collection du label EPM, se met en tête de rééditer la quasi intégrale de ces chansons révolutionnaires. Ce sera fait en deux temps : en 2007 puis en 2014 sur ce double album Chants d’espoir et de révolte. Le contact établi entre lui et Rosalie se mue en complicité et ils font des projets. Car Rosalie Dubois ce n’est pas que les tubes de ses débuts puis ces chants de révoltes. Mais aussi des chansons de poètes. Guillevic, oui. Aussi de Bernard Dimey dont elle chante dès 1960 La Romance, Maurice Fanon, Guy Béart, Louis Aragon, Marcel Mouloudji, Serge Gainsbourg et Paul Eluard. Déjà la matière d’une possible réédition. Mais Rosalie Dubois a aussi, au début des années 60, très bien connu Pierre Mac Orlan que, au contraire des précédents, elle n’a jamais enregistré. Bernard Ascal, lui, vient de graver Pâtisseries mécaniques : Rosalie Dubois veut en enregistrer certaines*, non sur les partitions qu’elle connaissait de naguère, mais bien sur celles d’Ascal. Enregistrer… ça fait longtemps qu’elle ne l’a pas fait !
L’enregistrement se déroule en juillet 2018. On imagine l’émotion… Rosalie a peur de ne pas voir le disque une fois paru, de ne pas avoir le temps… C’est dire si, le premier exemplaire en main, Bernard Ascal est allé le lui remettre. Car c’est évidemment bien plus qu’une compilation. Ou si ça l’est ce n’est que pour quinze titres, une paille. Les sept autres, qui ouvrent l’album, sont bien d’elle (la voix, fragile, en témoigne) à plus de quatre-vingt-cinq ans.
Sept titres à peine chantés, plus parlés, scandés même (parfois en duo avec Ascal), portés par une orchestration couleurs jazz qui lui était à ce jour étrangère. Sept titres comme un témoignage, une gageure, qui plus est sur des vers de Mac Orlan et des sujets quelques peu insolites : sur la feuille d’impôts, la chair d’une charcutière, la personnalité d’un marchand de glaces, un café-restaurant à travers l’Histoire ou la vente de tube de seccotine pour recoller les amours brisés. Très loin des tubes de sa jeunesse, du temps du vedettariat. Une façon élégante de presque tirer le rideau sur une carrière qui s’est dégagée du show-bizz par une personnalité hors du commun.
Parlons des autres titres qui, excusez du peu, ont de tels auteurs. C’est comme l’addition du lettré et du populaire : un bonheur à l’écouter qui, ma foi, n’a pas pris de rides ou si peu. C’est en écoutant de telles chansons qu’on mesure à quel point un accident a un jour barré la route à une formidable carrière ! Si je vous dit Rosalie…
* Couleurs et vernis, La feuille d’impôts, Le chercheur de la vérité, Café-restaurant Billard et Le marchand de glaces avaient précédemment été enregistrés par Bernard Ascal sur son disque Pâtisseries mécaniques (19 chansons inattendues de Pierre Mac Orlan) paru en 2017 chez EPM. Les deux autres (La charcutière et l’exégèse et Fleuriste sont inédits en disque)